A quand une éducation non-violente ?

10/11/2022

A l'approche de la journée internationale des droits de l'enfant du 20 Novembre, 520 professionnels, personnalités et sociétés savantes (dont la Société Française de Pédiatrie, la Société Française de Pédiatrie Médico-Légale et l'Association Française de Pédiatrie Ambulatoire) adressent une lettre ouverte au Président de la République pour promouvoir l'éducation non-violente en France.



A quand une éducation non-violente en France ?


Monsieur le Président de la République, Emmanuel Macron,

Ce mercredi 26 octobre 2022 sur France 2, vous déclarez que notre société est « de plus en plus violente » avant de mettre l'accent sur la nécessité de «pacifier la société et ne rien céder».

Nous, professionnels de l'enfance, psychologues, pédiatres, psychiatres, pédopsychiatres, chercheurs, enseignants, infirmiers puériculteurs, psychomotriciens, éducateurs, orthophonistes, associations, souhaitons vous alerter sur les violences subies par les enfants quotidiennement en France.


79% des parents ont confié avoir recouru à une violence « éducative »

Le 17 octobre 2022, la Fondation pour l'Enfance a publié un baromètre des violences dites éducatives infligées aux enfants par leurs parents. Selon ce baromètre, 79% des 1314 parents interrogés ont confié avoir eu recours à au moins une violence dite « éducative » la semaine précédant l'enquête. Si les violences physiques sont légèrement en baisse, les violences psychologiques sont les plus représentées.



La France accuse un grand retard en matière d'éducation

La France, 56ème pays au monde à avoir interdit les violences éducatives infligées aux enfants par la loi du 10 juillet 2019, accuse un grand retard en matière d'éducation. Une implication politique et médiatique forte est nécessaire pour promouvoir l'intérêt supérieur de l'enfant, en accord avec la politique de l'OMS et de l'UNICEF mais aussi avec les valeurs de la Convention Internationale des Droits de l'Enfant (CIDE) et les données scientifiques récentes.



Pourquoi est-il urgent de nous préoccuper de la qualité des pratiques parentales de notre pays ?

La frontière entre la maltraitance et la Violence Educative Ordinaire (VEO) est floue : justifier la violence par l'éducation ouvre la porte à des maltraitances encore plus graves.

La violence dite éducative comprend la violence verbale (cris, injures, humiliations, etc.), la violence psychologique (menaces, culpabilisation, isolement de l'enfant à visée punitive, etc.) et la violence physique (pincer, tirer les cheveux, tirer le bras, gifler, donner une fessée, etc.). Les travaux scientifiques sont aujourd'hui consensuels : lorsqu'elles sont intenses et/ ou répétées, les VEO augmentent considérablement, et sur le long terme, le risque d'agressivité, d'anxiété, de dépression, de troubles de la personnalité, de délinquance, d'addictions (alcool, drogues, jeux vidéo...), de suicide, de prise de risque. Ces violences peuvent impacter les compétences cognitives de l'enfant, mais aussi ses compétences sociales et ses capacités de régulation émotionnelle.



Une éducation non-violente est associée à un meilleur développement de l'enfant

Les recherches scientifiques confirment que les attitudes éducatives non-violentes sont liées à une meilleure santé physique et psychique, à de meilleures compétences sociales et estime de soi ainsi qu'à de meilleurs résultats académiques chez les enfants et les adolescents. Les pratiques parentales non-violentes sont également associées à une réduction du stress et du burn-out parental.



Cette éducation non-violente est à l'opposé du laxisme

L'éducation non-violente est parfois confondue avec une éducation laxiste, permissive, évitant toute frustration. C'est une idée fausse. L'éducation non-violente ne remet pas en question l'importance des règles, mais la violence avec laquelle elles sont imposées. Les travaux scientifiques ont d'ailleurs mis en évidence les méfaits du laxisme et de la permissivité parentale sur l'épanouissement de l'enfant.

Une parentalité est bénéfique quand le parent assume sa responsabilité de parent, transmet des valeurs, définit des règles et enseigne à l'enfant les compétences nécessaires pour les respecter. Il veille au cadre, pose des limites, accompagne les réactions émotionnelles de l'enfant et lui apprend à les réguler. Et ce, sans le violenter ni psychologiquement, ni physiquement.



Les parents ont besoin d'être accompagnés

Être parent au quotidien, c'est difficile. Une famille sur 4 est monoparentale. La prévalence de la dépression maternelle est d'une femme sur 10 dans la première année de l'enfant. La tentation de recourir à des gestes de violence éducative est forte, parce que cela semble fonctionner rapidement.

Les enfants ne peuvent descendre dans la rue pour exiger que leurs droits soient respectés. Le rôle des pouvoirs publics est de les protéger et de les défendre en accompagnant les parents. L'interdiction des violences physiques et psychologiques est inscrite dans la loi. Faisons connaître cette loi. Fournissons aux parents et aux professionnels en contact avec les enfants le soutien dont ils ont besoin pour pouvoir faire respecter la loi.



Nous demandons :

  • Une grande campagne de communication sur les besoins et les droits des enfants, expliquant clairement ce que sont les violences éducatives physiques et psychologiques, et proposant des alternatives concrètes à ces violences.
  • Que soit sanctionnée toute incitation à la violence éducative dans l'espace public, comme c'est actuellement le cas pour les violences envers les femmes.
  • Que les professionnels de l'enfance bénéficient d'une formation théorique solide reposant sur des connaissances validées scientifiquement et qu'ils sachent également accompagner et soutenir les parents.
  • Un accès aisé à l'information pour les familles, un soutien continu afin de limiter le recours aux attitudes violentes, et en cas de vulnérabilité particulière, permettre un accompagnement plus soutenu et adapté.



Monsieur le Président, nous avons conscience que les mentalités en matière d'éducation mettent du temps à évoluer et que le vote d'une loi ne suffit pas à freiner de manière significative les violences dans les familles. Cette évolution de l'éducation doit donc mobiliser les efforts de tous, tant sur le terrain, que sur un plan médiatique et politique. Le coût sociétal de la violence éducative est phénoménal sur le long terme.


Prendre soin des enfants, les protéger, c'est construire une société résiliente.


#pouruneenfancesansviolence


Pour retrouver la liste complète des 520 signataires de cette tribune

https://www.fondation-enfance.org/tribune-education-non-violente-2022/


Auteurs

Belmonte Jean-François - Auteur, conférencier

Butzbach Natacha - Psychologue

Dennery Vincent - Directeur de la Fondation pour l'Enfance

Dumortier Jérôme - Éducateur de jeunes enfants, directeur de crèche, formateur et consultant en éducation, Auteur, membre du CA de Stop VEO Enfance sans violences

Filliozat Isabelle - Psychothérapeute, conférencière, auteure, Vice-présidente de la Commission des 1000 premiers jours

Florman Karin - Thérapeute, auteure

Gueguen Catherine - Pédiatre, auteure, fondatrice du DU « Accompagnement à la parentalité » pour les médecins à la Sorbonne

Junier Héloïse - Psychologue spécialiste du jeune enfant, docteure en psychologie du développement, formatrice pour les professionnels de la petite enfance, conférencière, auteure

Lazimi Gilles - Médecin, enseignant à la Sorbonne Université, membre de la commission des 1000 jours, membre du HCE, coordinateur des campagnes contre les VEO StopVEO et Fondation pour l'Enfance

Lisembard Clémence - Responsable des opérations à la Fondation pour l'Enfance

Manard Marine - Neuropsychologue, docteure en psychologie et sciences de l'éducation, spécialisée en neurosciences, directrice du magazine Parentalité SanS Tabou, auteure

Quelen Céline - Présidente de StopVEO, Enfance sans violences, auteure

Serres Josette - Ingénieure de recherche au CNRS, formatrice petite enfance

Smith Joanna - Psychologue, psychothérapeute, chargée de cours à l'université, formatrice

Vella Fanny - Auteure, illustratrice



Sont notamment signataires de cette lettre :

La Société Française de Pédiatrie

La Société Française de Pédiatrie Médico-Légale

L'Association Française de Pédiatrie Ambulatoire

Geneviève Avenard, Ancienne défenseure des Enfants

Michèle Créoff, ancienne vice-présidente du Conseil National de la Protection de l'Enfance

Christophe André, psychiatre

Muriel Salmona, psychiatre spécialisée dans la prise en charge des victimes de violences, fondatrice et présidente de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie

Antoine Guédeney, pédopsychiatre, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent à l'université de Paris

Rebecca Shakland, professeure des universités en psychologie du développement

Edwige Antier, pédiatre

Anne Raynaud, psychiatre, fondatrice de l'Institut de la Parentalité

Illios Kotsou, docteur en psychologie, maître de conférences à l'Université Libre de Bruxelles

Thomas D'Asembourg, psychothérapeute et formateur en communication non violente

Mathieu Ricard, moine bouddhiste, biologiste

Frédéric Lenoir, philosophe, sociologue, docteur de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS)

Fabrice Midal, philosophe et écrivain

Anna Roy, sage-femme, autrice et chroniqueuse à "La Maison des Maternelles"

Benjamin Muller, journaliste à "La Maison des Maternelles" sur France 2, producteur du podcast pour enfants "Encore une histoire"

Guillaume Aldebert, auteur, compositeur et interprète

Andréa Bescond, comédienne, metteure en scène, scénariste et réalisatrice

Alexandra Lamy, comédienne et réalisatrice

Frédéric Lopez, journaliste, animateur radio, et producteur de télévision

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