Quand les chiffres sur l’emploi de violences sur les enfants me piquent

05/04/2023

La chronique kipik : Quand les chiffres sur l'emploi de violences sur les enfants me piquent

Marine Manard


Aujourd'hui je lis attentivement un sondage fort intéressant mené par Défense des Enfants International qui a évalué 2013 belges, âgés de 18 à 75 ans en mars 2020. Les résultats sont très interpellants.

Je ne vais pas détailler l'ensemble du sondage qui est accessible en intégralité ici

Par contre, nous allons examiner ensemble les chiffres qui m'ont le plus piqué, vu que nous sommes dans une
« chronique kipik » …



Les violences prétendument éducatives…

Dans ce sondage, 91% des participants estiment qu'un parent a le droit d'appliquer une punition à son enfant. La liste des sanctions les plus utilisées est édifiante :

Les deux plus utilisées sont : crier (ici dans le cadre de la punition, pas parce que le parent perd son sang froid ou a peur, etc…), mettre une « petite claque »…oui oui vous avez bien lu. Ces deux méthodes prétendument éducatives ont une prévalence d'environ 40% et 35 % respectivement.

Ensuite, viennent les autres sanctions : priver de sortie, mettre au lit, faire du chantage aux loisirs, mettre au coin, priver d'argent de poche, enfermer dans la chambre, priver de jeux, priver de nouvelles technologies, ignorer l'enfant. Ces techniques utilisées dans un objectif éducatif avaient une prévalence entre 25 et 35%.

Enfin, donner une fessée ou bousculer/empoigner restent parmi les 13 techniques éducatives les plus utilisées pour punir, avec une prévalence de 25%.

En plus de ces comportements parentaux, certaines sanctions que les répondants ont jugé appropriées dans 2 cas sur 10 comprennent : tirer les oreilles, pincer, utiliser un surnom insultant, enfermer dans la cave, priver de repas. Pour 1 personne sur 10, il est approprié dans un cadre éducatif de : laisser l'enfant dans une position douloureuse, de l'abandonner pour une longue durée, lui lancer un objet, donner une fessée avec un objet, tirer les cheveux et donner un coup de poing ou de pied.

Même si ces chiffres me donnent froid dans le dos, je suis tout de même satisfaite de noter que « ignorer l'enfant», « mettre au coin », ou « enfermer dans la chambre », qui sont les techniques de mise à l'écart les plus fréquentes sont ici reconnues comme des violences dites éducatives ordinaires. Pour plus d'informations vous pouvez consulter l'article sur les VEO ici.

La violence, c'est ok mais que pour nos enfants !

Alors qu'environ 51% des répondants jugent approprié d'infliger « une petite claque » de façon régulière ou selon les circonstances, cette violence ne serait admise que dans le cercle familial. Les comportements violents infligés par d'autres personnes ou d'autres enfants étant moins bien tolérés par les répondants. Cela expliquerait que 38% des répondants n'interviennent volontairement pas lors d'une scène de violence entre parents et enfants dans un espace public.

Tout cela me parait totalement lunaire… Une violence à deux vitesses, où l'enfant peut être malmené sous couvert d'éducation ou « pour son bien » s'il s'agit de ses parents. Pour ma part, une violence reste une violence, qu'elle soit infligée par un inconnu ou la personne en qui l'enfant devrait avoir une confiance absolue… non ? Est-ce que je suis la seule à avoir carrément envie de renverser la vapeur et pousser le raisonnement ? Allez soyons fous ! Tout en gardant en tête qu'aucune violence administrée (à des fins éducatives ou non) n'est admissible, on pourrait envisager qu'être victime de violences par les personnes dont vous dépendez et que vous aimez le plus au monde serait « encore pire » que de la part d'un parfait inconnu ? Ceci n'est que mon humble avis…

Est-ce que ces punitions sont réellement utiles ?

Comme récemment observé dans une étude [1], les parents interrogés dans ce sondage admettent fréquemment que ces comportements éducatifs ne sont pas bénéfiques.De façon assez interpellante toutefois, certains répondants jugent comme probablement ou certainement profitable d'appliquer des punitions, qu'elles soient physiques (22%) ou psychologiques (17%).

Au quotidien, les punitions relevant de la violence physique et psychologique restent donc assez présentes : crier (18%), mettre au coin (14%), mettre une petite claque (9%), enfermer dans la chambre (10%), bousculer ou empoigner (6%), tirer les oreilles (5%), donner un coup de poing ou de pied (5%). Ces chiffres doublent, voire triplent, si on prend en considération les réponses d'un comportement potentiel futur ou d'une utilisation passée : donner un coup de pied/poing (11%), bousculer ou empoigner (22%), mettre au coin et crier (48%).

La question que je me pose en consultant ces chiffres, c'est comment on peut attribuer au courant d'éducation dite positive, et non punitive, le comportement soi-disant de tyran voire de souffrance des enfants. En consultant ces chiffres, qui rejoignent largement les baromètres et autres sondages du genre, l'éducation de type autoritaire reste la norme, le standard en matière d'éducation. Le monde dans lequel nous évoluons, les pressions sociales, financières, les difficultés psychologiques et comportementales des adultes d'aujourd'hui ne sont pas du tout inclues dans ce débat à propos des présumées issues de courants éducatifs « nouveaux », accusés de rendre les enfants malheureux, les parents en burnout et la société malade… Il n'est pas possible selon moi de dissocier les difficultés parentales et le contexte global dans lequel ceux-ci évoluent. Ce sondage permet de mettre en évidence que « Les punitions (psychologiques et physiques) appartiennent aux habitudes éducatives de la grande majorité des parents ». Les pratiques d'éducation dite positive ou bienveillante n'ont pas encore pu faire leurs preuves, ni en bien ni en mal. Attribuer tous les maux de la société actuelle à un accompagnement empathique et non punitif de l'enfant me semble donc absurde, mais cela n'engage que moi évidemment.
Par ailleurs, afin de favoriser un accompagnement adéquat de l'enfant, des parents et des professionnels de l'enfance, il s'agit selon moi d'opérer un changement en profondeur de notre vision de l'Autre dans la société. Il ne s'agit pas que d'enfant, il s'agit de notre rapport à l'humain dans son entièreté et d'autant plus de notre rapport à ceux qui ont besoin de nous, les plus « fragiles ». Une loi qui statue sur les techniques éducatives à éviter est essentielle, non pas pour réprimander les parents, ni pour sanctionner les pratiques des uns ou des autres. Il s'agit d'un premier pas, d'une prise de position forte et solide du pays dans la perception de son avenir et de l'espoir qu'il place en celui-ci pour favoriser une société plus harmonieuse, sereine et empathique.

Références

[1] Dunlea, J. P., & Heiphetz, L. (2021). Children's and Adults' Views of Punishment as a Path to Redemption. Child development, 92(4), e398-e415.

https://www.dei-belgique.be/index.php/nos-publications/rapports/send/37-rapports/456-violence-dite-educative-ordinaire-resultats-de-l-etude-des-opinions-et-comportements-de-la-population-belge.html

Pour aller plus loin

https://www.psst-magazine.be/pedagogie/

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